Il ne se dit pas danseur. Sans attrait particulier pour la danse et les spectacles de danse. Pourtant, il pratique assidûment le contact-improvisation* et le Qi Gong**. Nous nous sommes rencontrés à une jam***. Depuis, nous sommes devenus amis. Je crois que nous partageons ce goût pour le silence parmi d’autres choses.
Il y a quelques jours, j’ai annulé mon inscription à une journée « S’ensilencer, ce que nous souffle le silence » proposée au Théâtre de Chaillot à l’initiative de Dominique Dupuy. J’ai alors pensé qu’il pourrait y aller à ma place.
Face à l’imposante image portée par cette institution de la danse, je m’attendais à essuyer un refus. Mais à ma grande surprise, il a accepté sans la moindre hésitation. Il semblait même très enthousiaste à l’idée d’une expérience inédite. J’en étais ravie et je frémissais d’avance de pouvoir recueillir ses impressions.
L’expérience a été une révélation bien au-delà de ce que j’aurai pu imaginer. Lors d’un atelier, il a été pris pour un danseur par un chorégraphe de renom. Ce dernier est venu le questionner à la fin de l’atelier. A ce moment précis, mon ami m’a dit avoir pris conscience du chemin parcouru. Il n’aurait jamais pensé être considéré comme un danseur. Encore abasourdi par ce nouveau regard porté sur lui-même, il m’a confié que cela s’est fait au fur et à mesure grâce à sa pratique du contact-improvisation et de Qi Gong. Il pense y avoir enraciné une présence et de la confiance.
Aussi, l’après-midi, il m’a dit avoir été très impressionné par la performance des étudiants du Conservatoire national supérieur d’art dramatique. C’était son premier spectacle de danse contemporaine au Théâtre de Chaillot.
A l’avenir, il souhaite que nous partagions davantage au sujet de la danse. J’en suis très touchée. Avec sa pratique intérieure du Qi Gong, j’imagine qu’il entrevoit désormais le potentiel expressif de la danse comme une source d’enrichissement créatif, plus portée vers l’extérieur.
« S’ouvrir à l’énergie opposée, ce n’est pas seulement ajouter quelque chose à sa propre palette, c’est transformer sa propre énergie, l’enrichir, confondre les deux énergies comme deux fleuves confondant leurs eaux dans la confluence, c’est une union intime, un mariage secret, qui affermit et adoucit à la fois. »
Dominique Dupuy – La Sagesse du danseur
En réalité, cette reconnaissance du danseur qu’il est, me rend très heureuse car je nourris cette profonde conviction que chacun et chacune de nous a un potentiel de danseur en lui, en elle. Peu importe ce que ce mot recouvre, et qu’il se dise danseur ou non, désormais sa part danseur aspire et respire de manière plus élargie.
Cette vision de la danse comme énergie vitale créatrice est malheureusement trop souvent étouffée par une culture du spectacle et du divertissement réduisant le corps à une fonction esthétique, utilitariste, voire de prêt-à-consommer. Notre capacité à danser serait d’autant plus inhibée et muselée une fois adulte que l’expérience corporelle à travers la liberté d’être, a été peu ou pas rencontrée en tant qu’enfant.
Que la danse, cette source de joie, d’apprentissage de soi, de sa relation à l’autre, au monde, puisse devenir accessible à tous, à tout instant et en tout espace.
Rendons un bon, grand et juste hommage, à la fois au choix du sujet du silence par une institution culturelle à travers la proposition d’un artiste et aussi, au courage d’oser l’inconnu de mon ami, sans qui cette expérience partagée de dépassement de soi n’aurait pu être.
Illustrations : Théâtre Chaillot et performance des étudiants du Conservatoire national supérieur d’art dramatique.
* A propos du contact-improvisation:
« Un aspect important du Contact Improvisation est le plaisir du mouvement, et le plaisir de danser avec quelqu’un d’une manière très spontanée. Cela se déroule dans un cadre qui place le corps au centre, dans toute sa variété, de là l’esprit peut s’exprimer. Et de là la danse se raffine au fur et à mesure que des relations plus précises avec les forces physiques s’établissent, que les corps apprennent à relâcher la tension excessive, à abandonner une certaine qualité de volonté pour faire l’expérience du flux naturel du mouvement. Dans le duo émergent deux corps qui agissent comme un seul corps mis en mouvement par les forces physiques, et des êtres humains, qui se rencontrent dans leur vitalité, leurs différences pour improviser, pas seulement partageant la danse, mais la créant. » Steve Paxton – Extrait de Fall after Newton
** A propos du Qi Gong :
C’est une pratique corporelle qui mobilise un travail (« Gong » dans le sens « œuvre à accomplir ») du « Qi » à la fois, « souffle », « énergie » et « vitalité ».
***A propos d’une jam
C’est un moment de pratique libre pendant lequel les corps improvisent accompagnés parfois de musiciens.