Le street art occidental entretient-il une relation d’appropriation à la rue tandis que le street art indien entretiendrait une relation de célébration, d’éloge à la rue ?
Il y a quelques mois, j’ai découvert le Kolam*, un art de rue éphémère venu d’Inde. J’ai immédiatement été frappée par l’esprit de cette tradition : un « street art » aux qualités éclatantes de délicatesse. En approfondissant, j’ai découvert grâce à la description faite par le centre culturel Sita toute la complexité et la richesse de cet art ancestral transmis depuis des générations de femmes.
C’est ainsi que j’ai partagé ce trésor dans une correspondance avec une amie qui effectue actuellement un voyage en Inde. Elle est partie pour quelques mois en quête d’inspiration et d’apprentissage pour se réinventer et s’ouvrir à une autre manière de vivre. Elle s’est offert ce voyage comme un moyen de nourrir profondément sa quête de sens et donner une nouvelle direction à sa vie.
Aujourd’hui, mon amie m’a répondu qu’elle vient précisément de faire un stage de Kolam. A la lecture de son expérience, je réalise combien cette pratique est encore bien réelle et vécue comme un véritable art de vivre :
C’était formidable. J’ai adoré apprendre à en faire : il y a déjà une certaine posture physique à appréhender pour soulager son dos et travailler son périnée ; un état méditatif à expérimenter car on fait complètement le vide dans sa tête en dessinant ; cet art à portée de main et en même temps ancestral et éphémère est une pure merveille et nous nous sommes émerveillées à chaque coin de rue sur de tous petits kolam ou des plus grands qui peuvent prendre jusqu’à 2-3 heures de réalisation.
Je me sens admirative de cette pratique qui honore le quotidien, l’habitat, les passants, les divinités. Elle ne cherche pas à imprimer sa marque, ne s’impose ni à l’autre, ni à l’espace du fait de son caractère éphémère. Elle n’a pas d’autre but que d’offrir un espace contemplatif et d’ouverture du regard.
Depuis plusieurs années désormais, des initiatives Street-art portent ce caractère éphémère :
- le street art végétal : un tour d’horizon est proposé sur ce blog dédié à l’art urbain.
- le street art « exposé » : Ultra Nan et ses dessins exposés qui peuvent être décrochés.
- Le street art « projeté » : Julien Nonnon et son « street maping »
- le Yarn Bombing, « tricot-graffiti », « tricot urbain ».
En cherchant bien, j’ai trouvé sur internet, une pratique de Kolam à la craie en France. Des images de Kolam sont rassemblées sur le site de l’association Mouvement et Fluidité. Tout comme dans l’Urban mandala de l’artiste Louis Arthur Ignoré, il n’est pas dit si l’esprit méditatif de la tradition indienne y est associé ou bien perdu. Je suis curieuse dans un cas ou dans un autre d’en connaître la raison.
En somme, une relation différente à l’espace de la rue et à l’environnement est-elle en train de prendre forme ? S’agit-il d’une pratique sociale impliquant un caractère citoyen et politique ? La source et dimension spirituelle d’une pratique est-elle éludée dans le vécu et dans le récit ? Quel est alors le sens de cette pratique ? Qu’est-ce qui empêche son développement ? Qu’est-ce qui le nourrit et le permet ?
Nicolas Soulier, architecte et urbaniste propose dans son ouvrage « Reconquérir les rues » des pistes de réponses citoyennes et politiques. C’est un premier pas que je suis.
Le deuxième pas est de « cultiver la douceur avec les yeux ouverts » comme nous y invite le conte philosophique « Ses yeux sont ouvert » de Carlos Chapman. Marcher, rencontrer l’inattendu et raconter ce beau chemin de la vie.
Car finalement le Kolam, si j’en suis émerveillée, est-ce bien qu’il existe d’abord en moi ? Il s’agirait alors de regarder et d’honorer les dessins qui s’élaborent chaque jour en moi au contact du monde ? Puis d’offrir ces dessins qui s’invitent et remontent à la surface ?
*Le Kolam est une gestuelle renouvelée quotidiennement avec de la poudre de riz blanche. Il est dessiné sur le pas de la porte des habitations. Son but est de recevoir la bienveillance des divinités tout en projetant de faire rebrousser chemin aux forces obscures. (extrait du site Sita).
Illustration : photographies de Kolam du voyage en Inde de mon amie Tifenn. Merci à elle pour ce cadeau, pour son regard et son partage.
Merci beaucoup pour ce partage et ce témoignage ! J’ai été, moi-même, séduite et interpellée par une brève séquence faisant partie du générique du film de Jean Renoir, Le Fleuve (1952), découvert il y a 4 ans, au cinéma du Fresnoy à Tourcoing, dans le cadre de sa programmation de films de la Cinémathèque Française), et, ayant des velléités aujourd’hui de me mettre à pratiquer le mandala, cette image m’est revenue, avec l’envie forte d’aller voir sur place, la pratique de cet art et de cette tradition, et de m’y initier. C’est en faisant, aujourd’hui, une recherche sur le net, sur d’éventuels stages de rangolis en Inde, que je tombe sur votre publication. Au plaisir de revenir vers vous, éventuellement, pour d’autres échanges, bien cordialement, et beaucoup de plaisir de votre côté, Jocelyne (de Lille, Hauts de France).
Bonjour Jocelyne,
Merci beaucoup pour votre partage ! Je suis ravie que cette publication vous nourrisse. Je vous souhaite un beau voyage au pays du Kolam. Je suis curieuse de voir cette sequence du film. Savez-vous où je pourrais la voir ?
Bonjour Miae, je vous remercie beaucoup pour votre retour ! Je vais regarder si je peux vous trouver, et vous indiquer, un lien avec le film de Renoir. Si je n’en trouve pas, je vous indiquerai le lien avec une interview du réalisateur Arnaud Desplechin que j’ai découverte récemment, et dans laquelle, à la demande d’une revue cinématographique, il analyse le film de Renoir dans son entier, et de manière très intéressante ! Cet interview est entrecoupée de séquences du film, dont cette séquence dont je vous parle dans mon premier message.
Au plaisir de revenir vers vous dès que possible,
Bien cordialement,
Jocelyne.
PS : Que faites-vous dans la vie ? Êtes -vous artiste ?
PS (suite) : Vous êtes danseuse donc ? C’est cela ? Ou « interprète chorégraphique », comme on dit aujourd’hui ? Bien à vous.
Bonjour Jocelyne, vous pouvez m’écrire aussi à cette adresse email gabkyu@gmail.com j’y suis plus facilement connectée. Je suis performeure, chorégraphe oui. Merci, bien chaleureusement à vous !